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Origine des réactions croisées
dimanche 22 mars 2009, par
Les réactivités croisées entre allergènes (et donc entre produits allergisants naturels) s’expliquent intuitivement avec la parenté qu’ont ces produits : pollens de différentes graminées, acarien D. pteronyssinus et D. farinae, fruits de la famille des Rosacées, etc..
Mais la classification des êtres vivants, la taxonomie, n’explique pas tout. Qu’y a-t-il de commun entre une pomme et un grain de pollen de bouleau ?
Ces 2 produits naturels contiennent-ils le MEME allergène, comme, par exemple, le lait de vache et la viande de boeuf qui contiennent la même albumine ?
En fait, non. Il est tout à fait exceptionnel que deux organismes vivants d’espèces différentes possèdent les MEMES protéines et donc les mêmes allergènes.
La réactivité croisée proviendra d’une "double inconstance" comme dirait Marivaux : des allergènes qui se ressemblent beaucoup et des IgE qui ne sont pas d’une fidélité à toute épreuve !
Toute la question de la réactivité croisée tourne donc autour d’une même notion : l’homologie.
Jusqu’où l’homologie influe-t-elle sur les réactivités croisées ?
Pour une même molécule d’IgE, une liaison est possible avec différents allergènes pour autant qu’une ressemblance suffisante existe au niveau des épitopes de ces allergènes.
Cette ressemblance est en grande partie conditionnée par l’existence des mêmes acides aminés (AA) aux mêmes endroits sur la chaîne polypeptidique de chacun des allergènes.
On chiffre l’homologie entre 2 protéines sous la forme d’un % d’identité séquentielle.
Existe-t-il un seuil d’identité séquentielle au dessus duquel on assistera à des réactions croisées et en dessous duquel elles ne peuvent avoir lieu ? Non, il n’y a pas de limite précise entre ces 2 éventualités. Quand l’identité entre 2 allergènes est proche de 100% ou, au contraire, extrêmement faible on peut se prononcer sans trop de risque. Mais sinon on se situe dans une large zone grise.
Pourquoi cette imprécision ?
Plusieurs facteurs interviennent :
- Certaines protéines sont un assemblage de « domaines » juxtaposés : cela provient de la duplication ou de l’épissage de gènes au fil de l’évolution des espèces. Par exemple, les chitinases de classe 1 ont un domaine dit « hévéine » qui est retrouvé également sur une autre sorte de protéines, les « barwin ». Seul ce domaine est partagé entre chitinases et barwin, le reste des molécules étant très différent.
On comprend que, si des réactions croisées (RC) peuvent se manifester entre les domaines hévéine de 2 allergènes différents, l’homologie séquentielle sera limitée à une partie seulement des molécules globale et que le % d’identité globale pourra être loin de 100%.
On peut donc avoir parfois des RC avec seulement 40-60% d’identité globale.
- Un grand nombre de protéines se présentent sous une forme repliée, dite « globulaire ». Cette conformation dans l’espace est importante pour que la fonction biochimique de la protéine puisse s’exercer pleinement. Le repliement n’est pas le résultat du hasard : c’est notamment la présence de tel ou tel AA, à telle ou telle distance d’un autre, qui va permettre que la protéine prenne la forme désirée en 3D. Il n’est pas indispensable que 2 protéines aient un % d’identité maximal pour qu’elles adoptent une conformation 3D similaire.
Les lipocalines sont un exemple classique de ce décalage entre forte ressemblance 3D et faible niveau d’identité séquentielle.
Sachant que ces allergènes des phanères animales croisent très peu entre eux, doit-on en déduire que la conformation dans l’espace est sans influence sur la reconnaissance par une IgE d’un épitope croisant ? Et que seule l’identité séquentielle est en jeu ?
Cela n’est pas si simple. Il faut raisonner en homologie locale plutôt que globale. Et tenir compte des deux composantes, séquentielle et spatiale, qui s’additionnent en fait :
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- D’un côté, l’identité des AA est importante au niveau local, celui de l’épitope. Pour qu’une RC ait des chances de survenir, il faudra un maximum d’AA identiques entre les 2 allergènes parmi les 10-15 AA des zones épitopiques ; et notamment certains AA identiques aux mêmes endroits pour assurer une bonne affinité de liaison avec l’IgE croisante. En effet, il suffit parfois d’un seul AA différent pour que l’IgE-réactivité chute ou disparaisse (cf. Bet v 1).
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- D’un autre côté, il faut aussi prendre en considération le caractère spatial de l’interaction IgE-épitope :
- L’accessibilité réelle des IgE : en effet, pour des protéines globulaires, il importe que la ressemblance s’exerce surtout à la surface des allergènes, là où les IgE vont pouvoir se lier. On peut donc avoir des % d’identité globaux moyennement élevés avec malgré tout des RC si les % d’identité en surface sont suffisants : dans la pomme, par exemple, Mal d 1 a seulement 56% d’identité globale avec son équivalent Bet v 1 dans le pollen de bouleau, mais ce taux monte à 71% en surface.
- Le repliement de la protéine : il faut se souvenir que pour la majorité des allergènes la zone épitopique résulte du rapprochement de petites séquences d’AA, au départ distantes sur la chaîne polypeptidique, mais finalement côte à côte après le repliement de la protéine sur elle-même . L’homologie entre ces épitopes conformationnels (ou « discontinus » ) ne peut être basée sur de simples comparaisons de séquences d’AA : il faut tenir compte de la configuration 3D finale des protéines.
- La forme dans l’espace de l’épitope lui-même : la modélisation en 3D des protéines montre que de très petites variantes locales en AA modifient parfois significativement la forme spatiale d’un épitope (cf. domaine hévéine).
- Enfin, l’influence des paramètres physiques (ex. chaleur) ou biochimiques (ex. présence ou non d’un ligand pour la protéine) est susceptible de modifier la configuration 3D tant au niveau de la protéine elle-même qu’au niveau de ses épitopes. Ce qui est pris pour une identité suffisante sur le papier peut tout à fait n’avoir aucune incidence dans les conditions réalistes du contact du patient avec les protéines en question.
- D’un autre côté, il faut aussi prendre en considération le caractère spatial de l’interaction IgE-épitope :
On pourrait illustrer ces diverses composantes avec le schéma suivant (les flèches vertes favorisent la réactivité croisée, contrairement aux flèches rouges) :
Ce schéma s’applique particulièrement aux protéines globulaires. Pour celles qui adoptent une configuration 3D de type plus linéaire (ex. tropomyosines) ou désordonné (ex. caséines, gluténines, ..), la reconnaissance d’un épitope croisant est moins dépendante d’une identité 3D précise. Et les perturbations induites par le chauffage, par exemple, sont moins sensibles sur la liaison aux IgE.
La relation homologie - réactivité croisée : l’exemple de la famille des tropomyosines
L’absence de globularité des tropomyosines simplifie les choses : les épitopes IgE-réactifs seront assez fidèlement déterminés par la technique des peptides chevauchants. Par ailleurs, on connaît la séquence en AA d’un grand nombre de tropomyosines ; et ces dernières sont connues pour être IgE-réactives dans un très large éventail d’animaux invertébrés : on les considère comme des « panallergènes ».
Les tropomyosines constituent donc un exemple assez didactique pour expliquer l’intrication entre distance taxonomique, degré d’homologie et réactivité croisée.
Les schémas ci-dessous illustrent les 2 étapes qui conduisent à une réactivité croisée éventuelle :
- dans un premier temps, le potentiel immunogène d’une protéine va dépendre (notamment) de l’ « étrangeté » de cette dernière : on compare donc le % d’identité de cette protéine avec la protéine correspondante chez l’homme. Il faut un certain niveau de non-ressemblance avec la protéine humaine pour qu’une réponse immunitaire soit lancée
% d’identité globale des tropomyosines comparativement à la tropomyosine humaine (BLAST-P effectué le 01/03/09 sur Uniprot)
On voit que l’homologie entre la tropomyosine humaine et les tropomyosines de mammifères est très élevée : ces dernières généreront très difficilement une réponse IgE. Inversement, les tropomyosines des arthropodes et autres invertébrés peuvent s’avérer des allergènes.
C’est ainsi que les tropomyosines des viandes de bœuf, lapin, poulet, etc.. sont considérées comme non allergéniques. Ayuso, par exemple, a étudié 57 patients présentant une allergie aux viandes : il n’a pu trouver qu’un seul patient positif en blot pour la tropomyosine de poulet, 1 pour celle de porc et aucun pour celles de bœuf ou de lapin.
A ce déficit d’ « étrangeté » des tropomyosines de mammifères pourrait s’ajouter une digestibilité plus facile rendant ces protéines encore moins immunogènes. Il a ainsi été suggéré que la pepsine scindait la tropomyosine de poulet à des endroits différents de ceux touchés dans le cas d’une tropomyosine de crevette et que cela pouvait rompre un épitope chez le poulet qui restait intact chez la crevette . Cependant, les tests classiques de digestion simulée en laboratoire (pH 1,2 + pepsine) ne montrent pas de différence notable entre tropomyosine de poulet et tropomyosine de crevette : les deux protéines ne sont plus détectées (> 2,5 kDa) après 5 min de digestion .
- par la suite, en admettant que des IgE aient été produites en réponse à ce contact immunogène, le potentiel cross-réactif d’autres protéines sera estimé en comparant ces protéines à la protéine immunogène. On cherchera alors l’inverse, à savoir quelles sont les protéines qui ressemblent suffisamment à la protéine immunogène.
% d’identité globale des tropomyosines comparativement à la tropomyosine de crevette Pen a 1
Ainsi, on assistera à des réactivités croisées aisées entre tropomyosines de crustacés, et un peu moins aisées, par exemple, entre ces dernières et celles des acariens ou des nématodes. Et a priori pas d’expansion de la réactivité (et, partant, de l’allergie) aux tropomyosines des viandes en cas d’allergie aux crustacés.
C’est bien ce qui est constaté en clinique mais aussi in vitro . Il semble que le niveau d’identité entre les tropomyosines de mammifères et celles de crustacés au niveau des épitopes n’atteigne pas une valeur suffisante, même si ce niveau semblerait parfois plus favorable que ne le laisse prévoir le % d’identité global entre les protéines (cf. tableau ).